Le coût du demi-tour
Dans notre trajet, il y avait idéalement un passage par les Apennins, la montagne qui sépare l’Italie entre l’ouest et l’est.
On a beaucoup travaillé cet itinéraire car on savait qu’il sortait des sentiers battus, et y compris que les ressources seraient plus rares. L’eau et la nourriture étaient un vrai sujet et on s’est inspiré de personnes l’ayant fait avant nous pour tracer un parcours optimal.
Nathalie principalement, mais Jérôme aussi avait des doutes sur notre capacité physique sur ce trajet. C’est pourquoi on a prévu avant de se lancer sur plusieurs semaines une première rencontre avec cette montagne sur dix jours. Évidemment, on avait nos trois litres d’eau par personne en plus de trois jours de “repas” si un ravitaillement prévu était indisponible.
Le premier jour se passe très bien, retrouver de la forêt et un peu de montagne fait du bien au moral. Ça change de la route et des chaleurs des plaines. La nuit dans la “capanna” (refuge spartiate en pierres) se passe bien, le contexte montagne est déjà bien installé. Le vent souffle bien et on se dit qu’il faudra principalement faire des nuits en dur, donc refuges et cabanes. C’est à peu près ce qui était prévu de toute façon.
Le second jour, l’étape est ambitieuse et le dénivelé très présent. On se lève tôt en sachant que ce sera une journée très physique. Encore une fois, la forêt est un passage très agréable et les dénivelés bien présents sont supportables grâce à la fraîcheur de l’altitude.
S’en vient une première crête qui se présente à nous. Visuellement c’est très impressionnant et on voit sur la carte un itinéraire bis qui la contourne. On choisit de l’éviter. Ça allonge l’étape mais on a prévu plusieurs points d’arrêt possibles donc pas de problème.
Le vent est très présent ça nous amuse autant que ça nous inquiète. On n’est pas sur une crête que déjà il faut rester concentré. Mais on le sait la montagne est bien plus exigeante que le reste.
Se présente une seconde crête à gravir. Cette fois pas de chemin alternatif donc le signal qu’on retient c’est qu’elle doit être “facile”. Le vent n’a pas faibli au contraire.
On se lance dans l’ascension. La pente est raide, c’est difficile mais pas impossible. Puis le dénivelé durcit encore, le vent nous déséquilibre, on est très concentré et chaque pas est compliqué, mais on progresse. Si on regarde derrière nous c’est déjà impressionnant, et des deux côtés de la crête ce n’est pas un ravin mais il ne faudrait quand-même pas y tomber. La pression monte, la pente raidit encore.
Cette fois on est couché sur la pente, on a peur, on ne tient plus debout à cause du dénivelé et du vent. Quand on lève la tête on ne voit que des rochers, on ne randonne plus, on escalade. Le chemin a d’ailleurs disparu, personne ne semble avoir fait le marquage ici. Nathalie glisse, en pratique rien de méchant, mais de peur on passe à survie. On ne peut communiquer qu’en criant pour outrepasser le vent, notre ennemi. On se rend compte que l’autre flan de la crête est un peu moins exposé, donc changement de flan et une pause pour réfléchir. C’est pas le grand luxe mais il y a une petite accalmie qui nous permet de consulter la carte et de prendre une décision pour la suite.
Deux options : redescendre ou continuer. La redescente nous paraît impossible, monter est toujours plus simple que descendre. Après avoir consulté la carte on s’aperçoit, même si on ne le voit pas, qu’il ne reste “que” vingt mètres de dénivelé, puis on sera arrivé en haut de la crête où l’ascension s’arrête. On décide de continuer en rangeant nos bâtons, c’est de l’escalade à quatre pattes maintenant. S’en vient le haut de ce pic qui ne culmine qu’à 1780 mètres. Le vent souffle encore mais on peut reprendre nos bâtons et se redresser.
Même si la situation est sous contrôle à ce moment-là, on est encore en état de panique. C’est pourquoi, lorsque qu’une possibilité de redescendre se présente, on la saisi, le but étant pour nous de nous mettre définitivement en sécurité et de réfléchir à la suite de cette étape et par ricochet, la suite de cette excursion en montagne.
Une fois en bas, on est définitivement à l’abri, on fait une pause bien méritée et on réfléchit. Sur le reste du parcours du jour et des dix prochains jours, c’est le même scénario qui va se répéter encore et encore. Des grosses ascensions sur des crêtes et même des falaises à venir. C’est dur mais on décide de faire demi-tour.
Tout ce récit pour en arriver là, le demi-tour.
Le point intéressant ici, ce n’est pas tant d’avoir échoué le test mais c’est le coût du demi-tour.
C’est déjà un coût physique, car il faut revenir sur nos pas. À la place de progresser dans le voyage, on régresse. On fait des kilomètres en plus pour rien, pire pour revenir où on est déjà passé.
C’est de la logistique et de l’adaptation. Il faut trouver rapidement un plan bis. Heureusement, on avait repéré le matin un refuge de replis. Mais il a aussi fallu prévoir de revenir en ville pour quelques jours de repos et de réflexions. Encore des kilomètres en plus pour “rien”.
C’est aussi un sacré coût moral. En plus de la distance non prévue, du retour en arrière, on a loupé notre test. La montagne qui est tant agréable à parcourir par rapport aux routes de la plaine n’a pas voulu de nous. Il va falloir retourner sur des routes moins plaisantes (mais plus faciles).
Et encore de la logistique, un nouvel itinéraire, replanifier tout, revoir les ambitions.
Mais tout est bien qui finit bien. Déjà, on est très bien entouré. Vous qui nous suivez êtes de très bons supporters ! Ensuite, après trois jours de repos, on a trouvé une solution. L’itinéraire sera un peu moins sympa mais on reste sur notre objectif principal : Paris - Athènes à pied.
Après tout, notre but n’était pas de traverser les Apennins du Nord au Sud.


















